Humanisme, Lumières, Bourgeoisie - 4ème partie : la Réforme, expression urbaine bourgeoise-monarchiste
Submitted by Anonyme (non vérifié)La faiblesse de l’humanisme en France d’un côté, le renforcement de l’État national sous François Ier de l’autre, font que la monarchie a une marge de manoeuvre très large face au féodalisme de la noblesse d’un côté, au féodalisme du clergé de l’autre.
Face au clergé, la monarchie se permet ainsi d’avoir un rapport de force permettant ce qu’on appellera le gallicanisme : l’Église est en France relativement indépendante du Vatican (cela perdure jusqu’en ce début du 21ème siècle, l’Église française connaissant l’hégémonie du courant « catho de gauche » -Le Monde, Télérama, etc.- et soutenant les institutions, qui restent distantes mais bienveillantes, par exemple avec les écoles privées, payées par l’Etat laïc).
Mais dans d’autres pays, le pouvoir réactionnaire du catholicisme romain, ses formidables richesses, provoquent la colère tant de la bourgeoisie que d’une large partie du peuple lassée de l’exploitation et de la corruption. Cette colère donne naissance au protestantisme, marqué par de très nombreux courants, allant du simple réformisme institutionnel au communisme.
Tant en France qu’en Angleterre ou dans la future Allemagne, le protestantisme est donc né en tant qu’arme dans la lutte de classes. Il a été l’instrument idéologique pour affronter le féodalisme ou au moins une partie de celui-ci, pour combattre le catholicisme romain (lié au Vatican).
Son triomphe, et la nature de ce triomphe, ont alors dépendu des jeux d’alliances entre les principales forces présentes (monarchie, petite noblesse, bourgeoisie, et de manière toujours isolée, les masses paysannes et la plèbe urbaine).
Trois types de situation ont prévalu :
1. Dans les pays où les forces nationales – à la fois bourgeoise et monarchiste – ont réussi à briser le joug catholique-féodal, le protestantisme s’est instauré comme religion nationale (Angleterre, Allemagne, Suède, Danemark, Pays-Bas) : la « Réforme » a triomphé.
a) Dans la future Allemagne et en Scandinavie, la « Réforme » a triomphé sous la supervision des forces monarchistes : le protestantisme s’est instauré comme religion nationale, liée aux monarchies, sous la forme du luthérianisme. La bourgeoisie cède l’initiative en Allemagne en raison de sa crainte des insurrections paysannes, à visée communiste.
b) En Angleterre et aux Pays-Bas, la « Réforme » a triomphé dans une alliance très forte entre la monarchie et la bourgeoisie, permettant le développement plus large du capitalisme. La monarchie prédominait dans le cas anglais (le protestantisme devenant la religion nationale sous la forme hiérarchisée de l’anglicanisme en Angleterre), la bourgeoisie prédominait dans le cas hollandais (le protestantisme dominant sous la forme de multiples églises « réformées » et largement tolérantes).
2. Dans les pays où les forces nationales – bourgeoises uniquement ici – n’ont pas réussi à briser le joug catholique de par le refus de la monarchie de participer au mouvement, l’idéologie catholique romaine baroque s’est instaurée (Italie, Portugal, Espagne, Autriche-Hongrie) en tant qu’alliance Vatican – monarchie, avec une variante classique en France (la monarchie étant prédominante sur l’Eglise) : la « contre-Réforme » a triomphé.
Une quatrième situation a également existé : le soulèvement populaire au nom de la réalisation immédiate du royaume de Dieu sur Terre. Mais de par le niveau historique des forces productives, ce type de révolution communiste a nécessairement échoué, malgré de brillants succès temporaires.
Voici comment Friedrich Engels présente la situation :
C’est l’époque qui commence avec la deuxième moitié du XVe siècle.
La royauté, s’appuyant sur les bourgeois des villes, a brisé la puissance de la noblesse féodale et créé les grandes monarchies, fondées essentiellement sur la nationalité, dans le cadre desquelles se sont développées les nations européennes modernes et la société bourgeoise moderne ; et, tandis que la bourgeoisie et la noblesse étaient encore aux prises, la guerre des paysans d’Allemagne a annoncé prophétiquement les luttes de classes à venir, en portant sur la scène non seulement les paysans révoltés, – ce qui n’était plus une nouveauté, – mais encore, derrière eux, les précurseurs du prolétariat moderne, le drapeau rouge au poing et aux lèvres la revendication de la communauté des biens.
Dans les manuscrits sauvés de la chute de Byzance, dans les statues antiques retirées des ruines de Rome, un monde nouveau se révélait à l’Occident étonné : l’Antiquité grecque; ses formes resplendissantes dissipaient les fantômes du Moyen Âge ; l’Italie naissait à un épanouissement artistique insoupçonné, qui sembla un reflet de l’antiquité classique et n’a plus été retrouvé.
En Italie, en France, en Allemagne, apparaissait une littérature nouvelle, la première littérature moderne ; l’Angleterre et l’Espagne connurent bientôt après leur époque littéraire classique.
Les barrières de l’ancien orbis terrarum [le Theatrum Orbis Terrarum est le premier atlas, en 1570] furent brisées ; pour la première fois la terre était vraiment découverte, les fondements posés pour le passage de l’artisanat à la manufacture qui devait, à son tour, constituer le point de départ de la grande industrie moderne.
La dictature spirituelle de l’Église fut brisée ; la majorité des peuples germaniques la rejeta directement en adoptant le protestantisme, tandis que, chez les peuples romans, une allègre libre pensée, reprise des Arabes et nourrie de la philosophie grecque fraîchement découverte, s’enracinait de plus en plus et préparait le matérialisme du XVIIIe siècle.
Le protestantisme, dans sa forme non monarchiste, se présente ainsi comme un idéal urbain, ou plus exactement l’idéal de petites villes caractérisées par une participation générale à la vie sociale, organisée autour de principes moraux issus de la religion. Le clergé n’a plus sa place dans une société où chaque individu devient un citoyen qui se sait regardé chaque seconde par Dieu, de qui il doit mériter par la tempérance et le travail.
C’est donc un idéal civilisationnel, correspondant aux exigences du mode de production capitaliste, qui a besoin d’individus entrepreneurs dans une société développée et policée. Le protestantisme se pose comme un mouvement progressiste face au féodalisme, remettant en cause la tyrannie, affirmant la citoyenneté des individus.
Le livre de l’anglais Hobbes, Le Léviathan, pose la question du droit et de l’État dont la nature est d’arbitrer, et non d’opprimer. De la même manière, l’oeuvre de La Boétie, le Discours de la servitude volontaire, est encore aujourd’hui très connue, de par son rejet de la domination du pouvoir central et son appel à un regard critique, permettant de changer les choses matériellement.
Ce que la bourgeoisie française cache cependant, c’est que le succès de cette oeuvre a été portée par le protestantisme. Le Discours sera en effet publié dans Le Réveille-matin des François en 1574, ainsi que dans les Mémoires de l’Estat de France sous Charles neufiesme, en 1577. Ce « Discours » est alors connu sous le nom de « Contr’Un » : ce qui est visé, c’est l’État central, monarchiste.
Cette question démocratique se révèle dans le conflit anglais entre le courant anglican et le courant puritain en Angleterre.
La révolution anglaise de 1640-1660 a un caractère éminemment démocratique : si la royauté reste, la religion officielle devient nationale (et protestante, sous la dénomination d’anglicanisme) et la bourgeoisie a en partie le champ libre, malgré l’échec de la tentative d’instauration d’une république (avec Cromwell). Roméo et Juliette, de Shakespeare, est une expression de cette revendication de la citoyenneté démocratique : deux individus doivent pouvoir s’aimer, au-delà des barrières féodales.
Si la monarchie a le dessus, elle est concurrencée par la bourgeoisie, dont le représentant est le mouvement « puritain » qui s’oppose ainsi à la centralité de la messe pour prôner la valeur du sermon. Ce dernier doit être prétexte à la discussion, et l’autel est considéré comme devant être placé au centre, plutôt qu’être inaccessible au fond du temple. Les forces monarchistes protestantes prônent quant à elles l’existence d’un clergé bien organisé et où la messe a la dimension centrale, le sermon devant être plutôt rejeté, la discipline passive étant l’aspect principal (tout comme dans le luthérianisme nordique).
Le succès de l’anglicanisme sur le puritanisme décentralisateur amènera un mouvement d’émigration en Amérique du Nord, forgeant une culture de liberté politique absolue, de refus du droit de l’État à imposer quoi que ce soit dans le domaine religieux, du refus de toute centralisation. Cela pavera la voie à l’idéal bourgeois républicain des Etats-Unis d’Amérique.