Jean de La Bruyère

15 mar 2017

Ce qui caractérise l'idéologie de la monarchie absolue, c'est le néo-stoïcisme. Il faut savoir accepter son sort, lié à un ordre inné décidé par une puissance supérieure ; cette acceptation va de pair avec le fait de voir le bon côté des choses, tout en acceptant passivement un aspect négatif.

Cette idéologie bien spécifique traverse toutes les Fables et est propre à leur approche, ce qui fait d'ailleurs qu'elles ne parviennent pas à un enseignement d'ordre général, se contenant de faire passer un message par fable, avec la morale à la fin qui vise à atténuer les comportements du lecteur, en le menaçant d'une catastrophe s'il agit de manière démesurée...

27 nov 2015

Dans un phénomène, il y a deux aspects et il y a un mouvement entre ces deux aspects. Saisir cette dynamique permet de cerner la nature du phénomène ou, au moins, d'en voir ce qui compte. Voici par exemple ce que constate Jean de La Bruyère, à travers la présentation d'une situation.

Il ne s'agit pas seulement de la critique qui est faite - cela les commentateurs bourgeois l'ont vu. Non, ce qui compte, c'est aussi l'enseignement dialectique que fait Jean de La Bruyère en nous présentant cela ainsi..

26 nov 2015

L'une des grandes leçons que doivent donner François de La Rochefoucauld et de Jean La Bruyère, c'est d'éviter les apparences qui sont trompeuses. S'ils ne parviennent pas vraiment à les expliquer, de par leur impossibilité à être matérialiste dialectique, tout au moins peuvent-ils porter l'attention sur certains aspects. C'est cela l'esprit français, capable de dresser des portraits psychologiques.

Voici par exemple ce que Jean de La Bruyère nous conseille dans le cadre des relations sentimentales : « L’on est encore longtemps à se voir par habitude, et à se dire de bouche que l’on s’aime, après que les manières disent qu’on ne s’aime plus. »...

13 nov 2015

Savoir bien se comporter exige, dialectiquement, de savoir comment ne pas se comporter. François de La Rochefoucauld et Jean de La Bruyère ont une approche allant véritablement vers la dialectique justement parce qu'ils dressent des miroirs, montrant des attitudes, des postures, des manières, qui ont comme dénominateur commun d'être mauvaises. François de La Rochefoucauld est ici relativement brutal de par la forme même de ses assertions, de ses Maximes. Il nous dit par exemple que :

« La simplicité affectée est une imposture délicate. »

Ou bien encore que :

« Un sot n’a pas assez d’étoffe pour être bon. »

9 nov 2015

Puisque la hiérarchie sociale est sens dessus-dessous par l'émergence du capitalisme, il ne reste plus qu'à accorder à la vertu une valeur idéale, dépassant la société elle-même. C'est cela le sens de la valorisation de la tragédie au XVIIe siècle ; cela correspond à l'esprit propre aux exigences de l'État dans son cadre administratif. Il faut rester mesuré, ordonné, afin de ne jamais sortir du cadre de la monarchie absolue.

C'est le seul moyen d'unifier, par en haut, les couches sociales contradictoires que sont bourgeoisie et aristocratie...

8 nov 2015

François de La Rochefoucauld et Jean de La Bruyère ont constaté l'émergence du mode de production capitaliste, mais ils ne l'ont pas compris. Représentants de la monarchie absolue, ils ne pouvaient constater la société que comme un tout, comme un ensemble organique, conformément à l'idéologie de la monarchie. Cependant, cette monarchie était absolue, et le pouvoir royal en tant que plus haute étape de la féodalité s'appuyait sur l'aristocratie, mais aussi sur la bourgeoisie.

Le problème est alors qu'il faut avoir une lecture scientifique pour saisir ce qui relève de l'une et ce qui relève de l'autre, ce que François de La Rochefoucauld et Jean de La Bruyère ne pouvaient pas avoir, pour des raisons historiques. Ils sentent bien que le mode de production capitaliste est en train d'affaiblir la féodalité, mais en même temps ils ne parviennent pas à distinguer féodalisme et capitalisme naissant...

7 nov 2015

La grande qualité du XVIIe siècle est sa réfutation de la vanité, défaut si présent à la Cour, en raison de la centralisation complète et de la nécessité de plaire pour avancer dans les institutions. Il s'ensuit un éloge de l'ego absolument insoutenable, avec une élite totalement obnubilé par son amour-propre. C'est une véritable vision du monde, où tout est évalué selon la satisfaction de son amour-propre.

Cela est bien sûr renforcé par le développement du capitalisme. Les commentateurs bourgeois ont omis cela, faisant comme si les moeurs capitalistes commençaient uniquement à partir de 1789, ou bien au XVIIIe siècle avec les Lumières. En réalité, si les idées bourgeoises triomphent avec les Lumières, les moeurs bourgeoises se développent bien entendu bien avant, dès l'émergence de la bourgeoisie en tant que classe, sous la forme des commerçants, artisans et marchands dans les bourgs devenant les villes...

2 nov 2015

La contradiction propre à la monarchie absolue, c'est de développer la culture d'un côté, de la freiner de l'autre, en raison de la domination de l'opportunisme propre à la cour, parallèlement au développement des commerçants et des marchands. C'est là l'expression des forces productives, qui se développent, alors que la société la freine en partie, la base féodale rentrant en contradiction avec le mode de production capitaliste qui apparaît.

C'est cela qui écoeure Jean de La Fontaine et Jean de La Bruyère ; ce dernier raisonne directement en termes de progrès, dans un esprit qui sera d'ailleurs celui des Lumières, à ceci près qu'il ne dénonce pas le régime, mais les travers humains qu'il sépare justement du régime, ce qui le ramène paradoxalement à un point de vue pro-féodal...

1 nov 2015

Tout comme chez François de La Rochefoucauld, on trouve chez Jean de La Bruyère cette combinaison entre catholicisme et exigences de la bourgeoisie. Ce qu'il dit dans la préface de son œuvre intitulée Les Caractères ou les Mœurs de ce siècle est impossible à comprendre sans le rapprocher de la civilité bourgeoise, de la rigueur protestante, de la pression catholique, de la bienséance propre à la monarchie absolue.

La Bruyère explique ainsi, dès le départ, faisant de la correction des mœurs la tache de la littérature : « Je rends au public ce qu’il m’a prêté ; j’ai emprunté de lui la matière de cet ouvrage »...

30 oct 2015

On aurait tort de penser que François de La Rochefoucauld et Jean de La Bruyère ne sont que de simples témoins, avec des yeux propres à leur époque – ce serait là une interprétation mécaniste, fondamentalement éloigné du matérialisme historique et de sa valorisation de la monarchie absolue comme étape intermédiaire et temporaire dans l'effondrement du féodalisme.

Ce qui fait l'intérêt de François de La Rochefoucauld est précisément la même chose qu'on a chez René Descartes et Jean Racine : une combinaison entre le catholicisme et les exigences de la bourgeoisie française qui n'a pas réussi à développer le protestantisme...

29 oct 2015

Jean de La Bruyère (1645-1696) et François de La Rochefoucauld (1613-1680) ont rédigé des œuvres à la forme sensiblement proches. On est ici dans la culture du mot français : précis, lourd de sens, inséré dans une formule délicate, sur la base d'une morale exprimée de manière naturelle.

C'est François de La Rochefoucauld qui est le premier des deux à formuler, en 1665, des Réflexions ou sentences et maximes morales, qu'on connaît surtout sous le nom de Maximes. Jean de La Bruyère publie, de son côté, en 1688, une œuvre dont le titre est Les Caractères ou les Mœurs de ce siècle...

28 oct 2015

Le XVIIe siècle est le grand siècle français; c'est à travers lui que s'est formé la France comme nation, par l'établissement d'un grand marché et la constitution d'une administration unifiée, la langue française se forgeant sur cette base.

L'un des grands soucis est que la culture nationale qui s'est alors formée s'appuie sur une monarchie absolue devenue toute puissante. La période de Louis XIV n'est plus celle de François Ier ni d'Henri IV, tout est beaucoup plus systématisé et donc, de par la base féodale, ossifié...

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