Ludwig Feuerbach : «Dieu» comme outil de la conscience pour saisir la nature


Pour les matérialistes, l’univers est un, il y a unité. Mais l’être humain n’est pas cet univers. Selon Ludwig Feuerbach, l’être humain a cependant, à l’opposé des animaux, conscience du caractère infini de la réalité.

Il doit l’exprimer, mais comment sa conscience non infinie peut-elle formuler cela ? Précisément en utilisant le concept de « Dieu. » Ludwig Feuerbach explique dans L’essence du christianisme que :

« L’être de l’être humain différencié des animaux n’est pas que le fondement, mais également l’objet de la religion.

Mais la religion est la conscience de l’infini : elle est ainsi et ne peut être rien d’autre que la conscience de l’être humain de son être, et cela non pas fini, limité, mais bien infini.

Un être véritablement fini n’a pas la moindre idée, sans parler d’une conscience d’un être infini, parce que la limite de l’être est aussi la limite de la conscience. »

On comprend alors ici pourquoi le matérialisme est également passé par le concept de « Dieu », notamment avec Aristote, Avicenne, Averroès, Spinoza, etc. Le matérialiste vulgaire ne peut pas saisir cela, car il assimile Dieu à un simple préjugé, à une simple abstraction.

Si l’on suit Ludwig Feuerbach, la division esprit-corps que fait la religion n’est pas une « absurdité » abstraite, mais le fruit d’une humanité séparée en deux, en raison du fait qu’un individu est fini mais que sa conscience conçoit l’infini.

Ne pouvant gérer cela, la conscience a alors utilisé « Dieu » et les fantasmagories mystiques. Pour Ludwig Feuerbach :

«La religion est la conscience de soi de l’être humain première et de fait indirecte. »

Le rapport qu’a l’être humain avec Dieu est son rapport avec lui-même. Ludwig Feuerbach présente ainsi, naturellement, le monothéisme de la religion juive comme une première affirmation égoïste, car national ; à ses yeux (tout comme pour Karl Marx), le christianisme lui est supérieur car il revendique l’universalisme du message divin.

Cependant et bien entendu, pour se maintenir non comme illusion mais bien comme théologie, la religion a besoin d’un Dieu puissant, intervenant sur le réel. C’est la fameuse contradiction explosive entre le système religieux et les pratiques populaires.

Et il faut noter que Ludwig Feuerbach constate l’importance du christianisme en fait comme protestantisme, qui confie la responsabilité à l’individu, et non plus aux lois qui expliquent tous les aspects de la vie quotidienne.

Avec le protestantisme, l’individu doit lui-même trouver la morale et non plus obéir à des préceptes. En cela, il a arraché des prérogatives au concept de « Dieu », ce qui témoigne par ailleurs du caractère historiquement progressiste, bourgeois à l’époque, du protestantisme, à l’opposé du judaïsme et du catholicisme.

Cependant, Ludwig Feuerbach n’a pas pu expliquer pleinement comment les religions se forment, c’est-à-dire leur rapport avec la base productive. Ludwig Feuerbach a compris la division en deux de l’humanité, il a saisi la question de « Dieu » comme unité, mais il n’a pas saisi les modalités faisant que la religion se forme d’une manière et pas d’une autre, à telle ou telle époque.

Or, c’est en saisissant ces modalités – les contradictions au sein d’une société – que l’on peut faire disparaître non pas simplement la religion sur le plan théorique, mais même idéologiquement, en asséchant sa source :

« Ludwig Feuerbach part du fait que la religion rend l’homme étranger à lui-même et dédouble le monde en un monde religieux, objet de représentation, et un monde temporel.

Son travail consiste à résoudre le monde religieux en sa base temporelle. Il ne voit pas que, ce travail une fois accompli, le principal reste encore à faire.

Le fait, notamment, que la base temporelle se détache d’elle-même, et se fixe dans les nuages, constituant ainsi un royaume autonome, ne peut s’expliquer précisément que par le déchirement et la contradiction internes de cette base temporelle.

Il faut donc d’abord comprendre celle-ci dans sa contradiction pour la révolutionner ensuite pratiquement en supprimant la contradiction.

Donc, une fois qu’on a découvert, par exemple, que la famille terrestre est le secret de la famille céleste, c’est la première désormais dont il faut faire la critique théorique et qu’il faut révolutionner dans la pratique. » (Marx, Thèses sur Feuerbach)

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