Cinquième thèse de Karl Marx sur Feuerbach

Traduction classique

Feuerbach, que ne satisfait pas la pensée abstraite, en appelle à l’intuition sensible; mais il ne considère pas le monde sensible en tant qu’activité pratique concrète de l’homme.

Traduction corrigée

Feuerbach, insatisfait de la pensée abstraite, appelle à une vision sensible ; mais il ne saisit pas la sensibilité comme activité humaine-sensible pratique.

Le choix du terme intuition est ici pratiquement bon dans la traduction classique, au sens où ce que Karl Marx veut dire, c’est qu’il ne suffit pas de se tourner vers la matière, y compris avec de la sensibilité.

Cela est un pas qu’on peut évidemment valoriser, mais en soi cela n’a pas de substance, pas de profondeur. Ce n’est que dans l’activité concrète, c’est-à-dire lorsqu’on se tourne et qu’on implique tout son être, qu’on ne se contente pas de visualiser la matière, mais qu’on y participe soi-même, qu’alors on est dans le matérialisme dialectique.

On remarquera ici que la traduction classique parle d’activité pratique concrète de l’homme, ce qui est une erreur, car ces termes reflètent un point de vue utilitariste justement dénoncé à juste titre par Ludwig Feuerbach.

Il en va, en réalité, de la dignité du réel, d’où les termes « humain » et « sensible » ajoutés à pratique par Karl Marx. On ne peut être véritablement humain, disposant de toute sa sensibilité, que si l’on s’implique dans la réalité qui existe, car ce n’est que dans la transformation (éternelle) que l’on existe.

Toute visualisation extérieure, aussi juste que soit cette visualisation, est insatisfaisante, car elle se coupe de la dignité du réel.

On voit ici très bien la différence si l’on prend, par exemple, la question des animaux. Quelqu’un qui disposerait d’une vision sensible pourrait tout à fait reconnaître la valeur de l’existence d’un animal. Cependant, cela serait formel et limité, sans implication.

Inversement, si la sensibilité se confond avec la pratique humaine-sensible, alors il y a une implication dans la réalité toute entière par rapport à l’existence de l’animal en question.

Quelqu’un qui visualise par exemple le chien dont il est responsable, si cette visualisation est sensible, reconnaîtra son existence, ses besoins. Mais cela sera formel, il y aura un manque complet de finesse, de nuances, de compréhension dynamique du chien, du rapport avec lui.

Quelqu’un qui, à la terrasse d’un café, discute avec ses amis, s’impliquant réellement avec sensibilité en cela, mais n’ayant qu’une approche formelle avec le chien, ne fera justement plus attention à ce dernier.

Sa vision sensible éprouve ici sa limite, car il n’y a pas d’implication de tout son être. On connaît bien également le manque d’empathie que peuvent éprouver, pour un exemple similaire, le médecin ou le pompier ; le formalisme de l’intervention se heurte à la dignité du réel, à la sensibilité de celui qui a besoin d’aide.

La vision sensible implique ainsi, pour être authentique, matérialiste au sens dialectique, l’activité dans la réalité, mais pas n’importe quelle activité, celle-ci doit s’insérer par rapport à la dignité du réel, en tant qu’activité humaine – sensible.

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