Karl Kautsky et la grève de masses

Karl Kautsky considérait que la social-démocratie allait l’emporter de manière naturelle, submergeant le capitalisme pourrissant. Cette conception combinant mécanique historique et mouvement populaire se trouva relativement mise en défaut avec l’un des débats les plus importants dans la social-démocratie, celui de la grève de masses.

Il s’agissait d’une forme nouvelle, développé par le mouvement ouvrier belge, dans le cadre de la bataille pour le droit de vote, réservé à 44 000 personnes par la monarchie parlementaire née en 1830. Le Parti Ouvrier Belge en 1885 développa une ligne de masses aboutissant à de multiples grève politique de masse, en 1891, 1892, 1893, 1902 et 1913.

Karl Kautsky s’était, bien sûr, intéressé à la question belge, et voici comment il voyait les choses :

« Marx, en association avec Engels, vécut jusqu’en 1848 à Bruxelles. C’est là-bas qu’ils travaillèrent aux fondements de leur nouvel enseignement, c’est là-bas qu’ils réalisèrent le Manifeste communiste.

Dans la mesure où l’on veut qualifier un seul pays comme le pays d’origine du marxisme, la Belgique a le droit de réclamer cette dénomination pour elle.

Comme pays de transit, où se rencontraient les influences et idées allemandes, françaises, anglaises, la Belgique proposait le sol adéquat pour un enseignement international, qui unissait en une unité plus élevée la philosophie allemande, l’économie anglaise, l’esprit français de la révolution. »

Karl Kautsky voyait ainsi le mouvement belge comme combinant l’esprit volontaire français et la capacité allemande d’organisation. Il appréciait la grève de masses, qui faisait office d’équivalent social-démocrate à la « grève générale » des anarchistes.

La révolution russe de 1905 renforça de manière très profonde la signification de cette forme de lutte. Rosa Luxembourg fut alors connue comme l’ardente partisane de cette nouvelle forme.

Karl Kautsky défendit celle-ci contre la droite de la social-démocratie et en tant que théoricien de la social-démocratie, il consacra toute une série d’articles à la question, comme Et quoi maintenant ? (1910), Une nouvelle stratégie (1910), L’action des masses (1911), La nouvelle tactique (1912), rassemblant dans un grand dossier les différentes positions expliquées selon son point de vue dans La grève politique de masses (1914).

Il faut ici replacer les choses dans leur contexte, pour comprendre l’ampleur historique du débat.

La tactique social-démocrate développée à partir de la conception de Friedrich Engels à la fin de sa vie reposait sur l’accumulation des forces pour être en mesure de faire face à ce à quoi on s’oppose. Le prolétariat se renforçant et le Parti ne cessant de grandir, cela semblait la meilleure chose à faire.

Il existait différents courants – révisionnistes à la Eduard Bernstein, radicaux à la Rosa Luxembourg – mais tous savaient que cette tactique permettait une meilleure situation et par conséquent tous l’appuyaient.

Lors des initiatives belges et avec la révolution de 1905 en Russie, la grève de masses devint un grand thème de débat, cette forme de lutte se voyant ajoutée dans l’arsenal des méthodes possibles pour triompher.

Le principe de grève de masse existait au préalable, mais avait été façonné de manière anarchiste, en France et en Belgique, puis comme on le sait en Espagne ou encore en Italie.

Là où le prolétariat était trop faible politiquement pour s’organiser, avec peu ou pas de droits parlementaires, une forte pression de la paysannerie empêchant de toutes manières tout progrès électoral, etc., la grève de masse semblait être la solution idéale si l’on ne raisonnait pas en termes idéologiques et culturels.

L’anarchisme se précipita dans cette méthode ayant prétendument solution à tout, s’empêtrant ensuite devant les échecs en partie dans le terrorisme individuel pour avancer coûte que coûte. Une initiative créative, par contre, de nature politique, se développa justement en Belgique avec la social-démocratie lançant des grèves de masse pour obtenir le droit de vote.

Cela déclencha une vague de débats au sujet de cette méthode dans la social-démocratie internationale, qui sans reconnaître une utilisation offensive de ce type de luttes, ce qui reviendrait à de l’anarchisme, reconnut une valeur certaine à ce type de lutte.

L’expression social-démocrate de « grève de masse » impliquait un contenu politique, limité à des situations particulières, à l’opposé du principe anarchiste de « grève générale » insurrectionnelle.

Or, si Karl Kautsky défendit le principe de grève politique de masses, il ne comptait nullement considérer cette méthode comme un point d’appui pour réaliser la révolution en tant que telle, ce que firent par contre Rosa Luxembourg et Lénine, tous deux avec des différences cependant.

Karl Kautsky se voyait ici réduire la question de la grève politique de masses à une forme passive de lutte de classes.

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