« Le Capital » parle de la nature humaine

« Le travail est de prime abord un acte qui se passe entre l’homme et la nature. L’homme y joue lui-même vis-à-vis de la nature le rôle d’une puissance naturelle.

Les forces dont son corps est doué, bras et jambes, tête et mains, il les met en mouvement, afin de s’assimiler des matières en leur donnant une forme utile à sa vie.

En même temps qu’il agit par ce mouvement sur la nature extérieure et la modifie, il modifie sa propre nature, et développe les facultés qui y sommeillent. »

Karl Marx, pour écrire Le Capital, s’appuie sur le matérialisme qui considère que la vie humaine appartient à la nature. Pour les matérialistes, la planète Terre est une biosphère, composé d’organismes vivants s’appuyant sur des éléments chimiques, dans un rapport bien déterminé.

Comprendre cette réalité matérielle, c’est saisir comment la vie se reproduit, dans quelles conditions elle existe. C’est cette réalité dont parle Karl Marx dans Le Capital.

Toute l’oeuvre est parsemée de remarques sur la vie humaine réellement vécue, sur la vie du travailleur qui souffre de se voir malmené par le capital, sur le rapport entre son travail en tant qu’être vivant et le capital, marqué par l’aliénation et l’exploitation physique.

« En même temps que le travail mécanique surexcite au dernier point le système nerveux, il empêche le jeu varié des muscles et comprime toute activité libre du corps et de l’esprit.

La facilité même du travail devient une torture en ce sens que la machine ne délivre pas l’ouvrier du travail, mais dépouille le travail de son intérêt. »

(…)

« Un certain rabougrissement de corps et d’esprit est inséparable de la division du travail dans la société. Mais comme la période manufacturière pousse beaucoup plus loin cette division sociale, en même temps que par la division qui lui est propre elle attaque l’individu à la racine même de sa vie, c’est elle qui la première fournit l’idée et la matière d’une pathologie industrielle. »

(…)

« La confection des vêtements et le tissage, malgré leur différence, sont tous deux une dépense productive du cerveau, des muscles, des nerfs, de la main de l’homme, et en ce sens du travail humain au même titre. »

(…)

« L’heure plus dense de la journée de dix heures contient autant ou plus de travail, plus de dépense en force vitale, que l’heure plus poreuse de la journée de douze heures. »

(…)

« L’économie des moyens collectifs de travail, activée et mûrie comme en serre chaude par le système de fabrique, devient entre les mains du capital un système de vols commis sur les conditions vitales de l’ouvrier pendant son travail, sur l’espace, l’air, la lumière et les mesures de protection personnelle contre les circonstances dangereuses et insalubres du procès de production, pour ne pas mentionner les arrangements que le confort et la commodité de l’ouvrier réclameraient. »

(…)

« En agissant conjointement avec d’autres dans un but commun et d’après un plan concerté, le travailleur efface les bornes de son individualité et développe sa puissance comme espèce. »

(…)

« Elle [la manufacture] estropie le travailleur, elle fait de lui quelque chose de monstrueux en activant le développement factice de sa dextérité de détail, en sacrifiant tout un monde de dispositions et d’instincts producteurs, de même que, dans les Etats de la Plata, on immole un taureau pour sa peau et son suif.

Ce n’est pas seulement le travail qui est divisé, subdivisé et réparti entre divers individus, c’est l’individu lui-même qui est morcelé et métamorphosé en ressort automatique d’une opération exclusive, de sorte que l’on trouve réalisée la fable absurde de Menenius Agrippa représentant un homme comme un fragment de son propre corps. »

(…)

« Dans l’histoire, comme dans la nature, la pourriture est le laboratoire de la vie. »

[les passages en gras sont soulignés par nous]

Rappelons cependant ici que le capital joue un rôle historique, celui de donner naissance à une humanité socialisée et naturelle, combinant une nature socialisée et une société naturalisée :

« Les faculté de l’homme primitif, encore en germes, et comme ensevelies sous sa croûte animale, ne se forment au contraire que lentement sous la pression de ses besoins physiques. »

Et soulignons que cette transformation n’est pas vraie que pour le travailleur, cela est vrai pour toute la nature, comme l’explique Karl Marx dans une phrase qui montre la conception matérialiste dialectique de la planète comme biosphère :

« La production capitaliste ne développe donc la technique et le combinaison du procès de production sociale qu’en épuisant en même temps les deux sources d’où jaillit toute la richesse : la terre et le travailleur. »

Karl Marx est un disciple de Ludwig Feuerbach et considère que seule la nature existe ; il regarde comment l’être humain a en partie – et en partie seulement – abandonné la nature, et comment il va revenir à elle, dans le communisme.

En ce sens, ce qu’on appelle d’ailleurs mode de production – esclavagiste, féodal, capitaliste, socialiste, communiste – désigne comment est effectué la reproduction de la vie humaine.

Comment la société produit-elle ce qu’elle consomme ? Là est la question essentielle, avec le problème que les humains n’ont pas spontanément une vue d’ensemble.

Comme le dit Karl Marx:

« l’apparence seule des rapports de production se reflète dans le cerveau du capitaliste. »

Le problème du capitalisme est qu’il façonne les consciences de manière telle à ce que spontanément, elles aient des illusions à ce sujet.

Ce n’est que par l’étude scientifique que le capitalisme peut être compris. Ce principe sera d’ailleurs la base de la social-démocratie comme mouvement ouvrier politique, avec les thèses de Karl Kautsky et de Lénine sur la nécessité de l’avant-garde scientifique et la réfutation du spontanéisme.

Voici comment Karl Marx nous parle des illusions dans le capitalisme, qui nous fait voir l’argent, le salaire, mais pas la force de travail qui est la clef du capitalisme, parce qu’elle est exploitée par le capital.

Karl Marx nous dit :

« Il en est d’ailleurs de la forme « valeur et prix du travail » ou « salaire » vis-à-vis du rapport essentiel qu’elle renferme, savoir : la valeur et le prix de la force de travail, comme de toutes les formes phénoménales vis-à-vis de leur substratum [leur substrat].

Les premières se réfléchissent spontanément, immédiatement dans l’entendement, le second doit être découvert par la science.

L’économie classique touche de près le véritable état des choses sans jamais le formuler consciemment. Et cela lui sera impossible tant qu’elle n’aura pas dépouillé sa vieille peau bourgeoise. »

Le Capital n’est donc pas une simple œuvre qui parle d’économie au sens étroit du terme ; c’est une œuvre qui parle de la vie humaine, de son travail, de comment le capital organise le travail et des conséquences pour la vie humaine.

Comme toute chose est contradictoire en son noyau, le mode de production capitaliste porte en lui son abolition, c’est-à-dire le communisme comme retour à la nature après le passage de l’humanité à une période permettant le développement des forces productives.

Le Capital de Karl Marx raconte toute la genèse du capital, son développement, son affirmation, et il explique son inévitable effondrement, principalement en raison de la chute tendancielle du taux de profit.

En faisant cela, Karl Marx nous parle de l’humanité dans son rapport avec la nature, en tant que composante d’elle au statut particulier.

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