L’accumulation du capital selon Marx : «identité de deux termes opposés en apparence»

Comment le capitalisme a-t-il commencé ? C’est là une question essentielle, qui détermine également comment il fait pour grandir, pour s’élargir, pour s’approfondir, pour s’intensifier ou, plus précisément sans doute, pour se dilater.

Cette question, c’est celle de l’accumulation du capital. Le problème évident étant ici que si on peut comprendre que le capital s’accumule une fois qu’il est lancé, comment a-t-il fait justement pour se lancer ? Comment quelque chose de non capitaliste a-t-il pu donner naissance au capital ?

Et si c’est le cas, pourquoi ne pas penser, comme le fit Rosa Luxembourg dans son ouvrage L’accumulation du capital, que le capital a besoin pour grandir de zones non capitalistes à intégrer ?

De fait, si une grande figure comme Rosa Luxembourg a pu se tromper de manière décisive à ce sujet, on comprend la difficulté de la question. Aussi a-t-il lieu d’avoir un aperçu précis dès le départ, et pour cela il faut saisir la substance de la question.

Ce qu’on appelle « accumulation du capital » est un aspect d’une chose, dont l’autre aspect est le renforcement du prolétariat. Sans prolétaires, pas de profit, donc le capital ne peut que s’accumuler que s’il intègre toujours plus de prolétaires.

La question ne peut se saisir qu’à travers ces deux aspects. Karl Marx nous dit ainsi :

« Les circonstances plus ou moins favorables au milieu desquelles la classe ouvrière se reproduit et se multiplie ne changent rien au caractère fondamental de la reproduction capitaliste.

De même que la reproduction simple ramène constamment le même rapport social – capitalisme et salariat – ainsi l’accumulation ne fait que reproduire ce rapport sur une échelle également progressive, avec plus de capitalistes (ou de plus gros capitalistes) d’un côté, plus de salariés de l’autre.

La reproduction du capital renferme celle de son grand instrument de mise en valeur, la force de travail. Accumulation du capital est donc en même temps accroissement du prolétariat.

Cette identité – de deux termes opposés en apparence – Adam Smith, Ricardo et autres l’ont si bien saisie, que pour eux l’accumulation du capital n’est même autre chose que la consommation par des travailleurs productifs de toute la partie capitalisée du produit net, ou ce qui revient au même, sa conversion en un supplément de prolétaires. »

Ainsi, on a une contradiction, avec ses deux aspects, qui sont identiques dans le capitalisme mais tendent bien entendu à se diviser. Le capitalisme produit son propre fossoyeur, et plus il grandit, plus il renforce sa propre mise à mort.

L’une des conceptions idéalistes qu’on retrouve ici est de faire « sauter » la variable des salaires afin de provoquer la révolution. En effet, les salaires augmentent si l’accumulation du capital connaît un cycle de croissance rapide, et inversement baisse dans le cas inverse.

Voici ce que dit Karl Marx :

« Si le quantum de travail gratuit que la classe ouvrière rend, et que la classe capitaliste accumule, s’accroît assez rapidement pour que sa conversion en capital additionnel nécessite un supplément extraordinaire de travail payé, le salaire monte et, toutes autres circonstances restant les mêmes, le travail gratuit diminue proportionnellement.

Mais, dès que cette diminution touche au point où le surtravail, qui nourrit le capital, ne paraît plus offert en quantité normale, une réaction survient, une moindre partie du revenu se capitalise, l’accumulation se ralentit et le mouvement ascendant du salaire subit un contrecoup.

Le prix du travail ne peut donc jamais s’élever qu’entre des limites qui laissent intactes les bases du système capitaliste et en assurent la reproduction sur une échelle progressive. »

Par conséquent, si on arrive à découpler les salaires de ces cycles – pensent les idéalistes – alors le capitalisme ne peut plus suivre et le prolétariat exigeant ses salaires est obligé de ses débarrasser des bourgeois. C’est le point de vue de Léon Trotsky dans son Programme de transition ou bien de Toni Negri avec son mouvement italien des années 1970 appelé « Autonomie ouvrière ».

C’est une vision simpliste, de type syndicaliste, où un seul bourgeois fait face à un seul prolétaire, et non plus des classes sociales au sein d’un mode de production. Il y a une incompréhension fondamentale du processus d’accumulation du capital.

Mais qu’est-ce donc précisément que l’accumulation du capital ?

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